Crus et lieux-dits en Brouilly et Côte de Brouilly : vers une montée en gamme.
ActualitésLe lien entre un lieu-dit et un cru de Beaujolais relève de l’intrinsèque. Bien avant l’apparition des AOC/AOP, les vignerons du Beaujolais avaient recours au « parcellaire ». On parlait « lieux-dits » avant même de parler Brouilly, Côte de Brouilly, Moulin à Vent, Juliénas, Fleurie…
Mais, qu’est-ce que le « parcellaire » ?
Une cuvée parcellaire s’inscrit dans l’identité d’un lieu-dit.
Pour une appellation d’origine, seul le terroir est pris en compte. (On dénombre 4 terroirs en Terre des Brouilly.) Dans le parcellaire, on prend en compte des secteurs plus petits, dont le profil des sols, l’altitude, l’exposition, la pente, la date de la taille et celle des vendanges, sont propres à ces secteurs-mêmes et donnent aux vins des propriétés et qualités particulières.
On pourrait résumer la chose par cette phrase : « Le parcellaire est à l’AOC, ce que la haute couture est au prêt à porter ! »
En Terre des Brouilly, les crus sont le fruit d’un travail très minutieux, très manuel. Le parcellaire est historique et naturel sur ces coteaux escarpés. Il est intéressant aujourd’hui de mettre un nom sur l’existant, d’identifier plus précisément ces lieux-dits, voire de les étendre à certaines parcelles non classées à ce jour.
Comment sont déterminés les lieux-dits ?
Cette question, les vignerons de Brouilly et Côte de Brouilly se la posent depuis plusieurs années, dans le cadre d’un projet d’envergure, particulièrement fédérateur, mené dans tout le vignoble du Beaujolais.
Sous la direction de l’ODG des crus du Beaujolais, un travail d’identification et de qualification des lieux-dits a été lancé dès 2016. D’abord par une étude des profils des sols, menée pendant 4 ans par un cabinet d’experts. Ensuite par un travail titanesque de recherches historiques sur tous les crus. Il a fallu remonter jusqu’au 18e siècle, reprendre d’anciennes cartes et publications, consulter de vieux ouvrages, faire appel à la mémoire collective, pour répertorier les lieux-dits.
Enfin, un travail de dégustation à l’aveugle a été confié aux vignerons eux-mêmes, afin de définir les propriétés organoleptiques propres aux vins des parcelles.
Pour chacune d’entre elles, il est étudié l’aspect d’usage (les vignerons utilisent-ils le nom du lieu-dit sur leur bouteille ou dans leur déclaration de récolte ?), l’aspect historique, la géologie particulière et le savoir-faire. Lors des dégustations à l’aveugle, seul le millésime est communiqué. Ensuite, les vignerons présents, sont invités à remplir une grille de dégustation prenant en compte l’olfactif, la qualité en bouche, la couleur, l’intensité du vin. Cela permet d’identifier les caractéristiques de la parcelle, et de voir si un lieu-dit se démarque.
Ainsi, en Terre des Brouilly, on a vu apparaître sur certaines étiquettes, figurant après le nom de l’AOP, celui d’un village ou d’un lieu-dit. Pour les Brouilly : Saburin, Combiaty, Pissevieille, Pierreux. Pour les Côte de Brouilly : les Berthaudières, Chardignon, Héronde…
Des bénéfices qui font rayonner tout le territoire !
Le premier des bénéfices relève de l’humain. Les vignerons sont nombreux en Beaujolais. Brouilly, par exemple, représente 1 227 hectares en production, que se partagent plus de 300 vignerons. Cette démarche leur permet de se connaître et d’agir tous ensemble dans un esprit de cohésion.
Portée par l’ensemble des vignerons, elle permet en outre à chacun d’entre eux de répertorier, s’approprier et de valoriser leur terroir et leur AOP, dans un discours commun. De plus, si certains lieux-dits sont d’ores et déjà identifiés, d’autres moins connus ont aussi la chance de pouvoir s’exprimer.
En avril 2019, les vignerons étaient 8 ou 9 dans les « commissions mensuelles lieux-dits », aujourd’hui ils sont plutôt 20 à 25. Ils ont compris et adhéré à cet autre bénéfice, celui de la diversification de gamme : le consommateur contemporain consomme moins mais mieux. Il aime connaître l’histoire de ce qu’il boit. En associant une cuvée à un lieu-dit, il connaîtra les spécificités de la parcelle et son histoire.
(Comme celle de Pissevieille, lieu-dit de la commune de Cercié, qu’on raconte en fin d’article pour les plus curieux.)
À terme, ce travail précis et juste aura des répercussions sur le marché de chaque cru : hors de son territoire par exemple, Brouilly devrait dépasser son image de vin de brasserie, tandis que Côte de Brouilly deviendra moins confidentiel tout en gardant son image de vin de garde.
Vers le classement en 1er cru pour les lieux-dits de Brouilly et Côte de Brouilly ?
En Terre des Brouilly, actuellement, le travail d’identification historique et toponymique est quasiment achevé. Les descriptions organoleptiques sont en cours. À la fin de l’année 2021, une enquête parcellaire sera menée : chaque vigneron sera invité à dire comment il travaille sur telle ou telle parcelle.
Parallèlement les « commissions lieux-dits » continuent à se tenir tous les mois et un travail photographique a été lancé afin d’avoir des images des 10 lieux-dits les plus revendiqués par appellation. Des journées spécifiques seront organisées pour informer le public et, lors d’autres dégustations, les viticulteurs Brouilly et Côte de Brouilly continueront de renseigner les professionnels et la presse.
Ce projet de valorisation au sein même des AOP permet d’envisager de faire reconnaître leurs lieux-dits. Lors des dégustations, les viticulteurs ont eu de très bonnes surprises et des parcelles se sont dégagées fortement en termes de caractéristiques pour un 1er cru.
Aussi, à l’issue de ces 3 ans de travail de reconnaissance, il apparaît comme une évidence, et une juste récompense, de poursuivre la démarche auprès de l’INAO. C’est chose prévue, en juillet 2022 avec la rédaction d’un dossier puis son dépôt, qui ouvrira sur le lent processus de négociation et la commission d’enquête, afin de faire reconnaître les lieux-dits de Terre des Brouilly en 1ers crus. Cela devrait prendre plus de 10 ans.
Qu’importe, ceux qui travaillent la vigne, connaissent la patience et récoltent déjà les fruits de leur implication.
Retrouvez ici leur communauté et passez par là pour goûter le fruit de leur travail !
Nous remercions vivement Loïc Condemine (Domaine des Chevaliers) et Nathalie Chuzeville (directrice ODG des crus du Beaujolais) pour les explications et informations qu’ils ont pris le temps de nous communiquer avec passion et précision.
Bonus, l’histoire de Pissevieille
Une vigneronne, particulièrement dévote, se rendait régulièrement « à confesse ». Mais elle n’avait jamais de graves péchés à avouer au curé. Ce dernier finit par la congédier un jour en lui intimant : « Allez ! Et ne péchez plus ! »
La vigneronne, un peu sourde, comprit : « Allez ! Et ne pissez plus ! ».
En effet, en patois beaujolais, « pêcher » se dit et prononce « pisser ».
Elle obéit. On imagine son calvaire…
Son mari, inquiet, alla voir le curé pour lui demander des précisions.
Rassuré, il revint chez lui en criant à sa femme, du bas de la colline : « Pisse vieille ! Pisse vieille, le curé l’a dit ! ».